Elections américaines : vote par correspondance, facteur de fraude ou de participation ?
Déjà polémique en 2016, le vote par correspondance pour les élections présidentielles américaines fait encore débat en vue de celles de 2020. Pourtant, et en-dehors même du contexte sanitaire actuel qui pousse les citoyens américains à un recours accru au vote par correspondance, cette manière de voter n’a cessé de progresser depuis la fin du XXe siècle. Retour sur cette faculté qui n’est, en France, offerte que dans le cadre des élections professionnelles.
Absentee voting ou mail-in voting, ces expressions révèlent la disparité de la notion américaine de vote par correspondance, qui est pourtant basée sur le même principe : celui selon lequel les électeurs reçoivent chez eux leur bulletin de vote, qu’ils peuvent ensuite, selon les Etats, renvoyer par courrier postal à partir de 8 semaines avant la date officielle de l’élection, ou mettre dans l’urne le jour J. automatique
Ce système vise, comme notre système de procuration, à permettre à un électeur absent le jour du vote ou empêché par des difficultés de déplacement, de prendre part au vote. En revanche, contrairement au système français, les bulletins de vote reçus par voie postale sont uniques, traçables : il n’y a pas de bulletin à disposition dans les bureaux de vote américains, les électeurs doivent impérativement utiliser ceux qu’ils reçoivent pour, selon les Etats, les renvoyer par courrier, les mettre dans l’urne du bureau de vote, ou une urne sécurisée (drop-off box). Pour l’élection de Bill CLINTON en 1992, 7% des électeurs avaient fait le choix du vote par correspondance). En 2016, ils étaient près de 40% et le New York Times estime qu’ils pourraient être 76% en 2020.
Pourquoi cet engouement ?
En cette année électorale 2020, la pandémie de COVID 19 qui frappe sévèrement le pays est clairement le motif principal. Mais il y en a d’autres, à commencer par l’augmentation de la participation au fil des ans : dans les années 90, seuls 87 millions d’électeurs prenait effectivement part au vote. En 2008, ils étaient 131 millions et en 2016 près de 135 millions, ce chiffre étant à considérer comme a minima puisque les dépouillements des votes par correspondance avait été stoppés, afin de ne pas se poursuivre au-delà des délais prévus.
L’autre raison, mécanique, est la fermeture de nombreux bureaux de vote et la diminution des horaires de vote. Dans quelques Etats (Colorado, Hawaii, Oregon, Washington et Utah), le vote par correspondance est la norme : les citoyens les reçoivent et les renvoient obligatoirement par voie postale, il n’y a pas de bureau de vote. Dans d’autres (le Dakota du Nord, le Nebraska ou la Californie), c’est à chaque comté de décider de comment il gère ses opérations de vote. Pour les autres, il est certain que devoir parcourir de longues distances (sur un jour travaillé puisque l’élection se tient toujours un mardi et que tous les Etats n’ont pas mis en place un jour de congé permettant le vote) réfrène les envies des citoyens les plus motivés à se rendre en personne au bureau de vote et les conduit à préférer le vote par correspondance.
Est-ce vraiment un facteur de fraude ?
Comme nous le disions, chaque bulletin de vote est unique : dans quelques Etats, un code barre permet son identification, dans d’autres le votant doit le signer et sa signature est comparée à celle enregistrée dans des fichiers. Ils sont vérifiés au moment du dépouillement, tout comme le sont les bulletins déposés directement dans l’urne. Les risques de fraude sont donc limités, mais ce que l’on craint vraiment est le manque d’expérience des Etats qui, en réponse à la pandémie, mettent en place ce système pour la première fois. Toutefois, les primaires ont pu leur servir de « galop d’essai » et des leçons en ont effectivement été tirées par les administrations en charge.
Si le président Trump n’y est pas favorable, ce n’est donc pas tellement au regard des risques de fraude, mais probablement davantage parce que le vote par correspondance est traditionnellement l’apanage des démocrates. Il y voit donc une tentative de manipulation de la part de ses concurrents et craint une perte de voix en sa défaveur. C’est, peut-être, la raison qui l’a poussé à mettre en place un proche – et grand donateur de sa campagne – à la tête de l’US Postal Service, la Poste américaine, qui subit depuis la crise sanitaire de lourds dysfonctionnements et a averti tous les Etats des difficultés qu’elle pourrait avoir à délivrer en temps utile tous les votes par correspondance, bien qu’elle en soit « pleinement capable » selon ses dires. Reste que des études montrent que le vote par correspondance n’est, en pratique, pas plus favorable à un parti qu’à l’autre.
Et chez nous ?
Un temps évoqué pour le 2e tour des élections municipales 2020, cette possibilité n’est pas offerte et n’est pas prête de l’être pour les élections politiques françaises. C’est toutefois une mesure en place depuis plusieurs années pour les élections professionnelles et parfois, pour des consultations locales. Les électeurs reçoivent leurs codes par mail et votent via une plateforme sécurisée : c’est simple, efficace, et permet un vote à toute heure, de chez soi ou en voyage. Et si le vote à distance était, finalement, l’avenir de la participation citoyenne ?