Sénateurs en campagne !
Après le succès des municipales (65 % des candidats accompagnés par Plebiscit ont été élus), en pleine campagne pour les européennes qui se tiendront le 25 mai 2014, Plebiscit n’oublie pas les candidats qui se mettent en ordre de marche pour les prochaines Sénatoriales de septembre. Nous reviendrons donc très rapidement vers vous afin de vous communiquer notre nouvelle offre de produits packagés, spécifiques aux élections sénatoriales.
En attendant ces quelques jours, toute l’équipe de Plebiscit vous propose de vous replonger dans la campagne de 2011 à travers un article paru dans Le Figaro.
A bientôt de vous entendre,
Sénateurs en campagne.
Dimanche, les grands électeurs désigneront la moitié du Sénat pour six ans. Pour se faire élire, les candidats auront dû mener une campagne particulière auprès des élus locaux de leur département.
«Je n’ai pas oublié votre aide pour le toit de la salle des fêtes.» Gilles Leguereau, le maire de Villemardy, petite commune de 280 habitants dans le Loir-et-Cher, accueille comme une amie Jacqueline Gourault, sénateur centriste du département en campagne pour sa réélection. Le parlementaire a pris rendez-vous avec l’élu local pour un entretien à la mairie, qui partage ses locaux avec l’école communale. Pas de militants. Aucun public. Le bureau du maire donne sur la cour où jouent les enfants. On s’attend presque à voir Jules Ferry surveiller la récréation. L’entretien commence. «Ceux de Beauce et Gâtine ne sont pas tous d’accord pour fusionner avec ceux de Vendôme et du Vendômois rural.»
Dans un monde en plein bouleversement, il est rassurant de trouver des rituels qui ne changent jamais. Loin du microcosme parisien et des plateaux de télévision, les délégués des conseils municipaux se rendront aux urnes le 25 septembre pour élire la moitié des 348 sénateurs. Un moment fort de la démocratie locale et de la vie des territoires. Une liturgie républicaine immuable depuis plus de cent trente ans. Quel maire, quel conseiller général ne rêve pas d’accéder au Sénat, que Gambetta appelait «le grand conseil des communes de France» ? Entrer au Palais du Luxembourg, c’est, assurent les heureux élus, devenir un des sages chargés de contenir les emportements démagogiques du gouvernement et des députés. On ne résiste pas à une mission aussi flatteuse.
La voiture, meilleure amie du sénateur
Depuis des semaines, les candidats battent la campagne. Comme, avant eux, de grands noms tels Georges Clemenceau (en 1901), Michel Debré (en 1948) et François Mitterrand (en 1959). Or, pour la première fois depuis l’après-guerre, la gauche semble en mesure de remporter la Chambre haute du Parlement. La perte de la Haute Assemblée représenterait donc un vrai handicap pour Nicolas Sarkozy à huit mois de la présidentielle. Reste, pour les deux camps, à convaincre les grands électeurs sans étiquette – environ un sur deux – et qui feront la différence.
Le scrutin concernera les départements classés par ordre alphabétique entre l’Indre-et-Loire et les Pyrénées-Orientales, les départements d’Île-de-France ainsi que six départements et territoires d’outre-mer. Autant de situations particulières mais un point commun: le meilleur ami du sénateur en campagne, c’est la voiture. Sa circonscription comprend toutes les communes de son département. «Chez moi, il y a 331 communes, explique le sénateur PS des Landes Jean-Louis Carrère, dont l’accent suffirait à dissuader tout rival né au nord de la Garonne. Je me rends dans chacune de ces communes.» Un candidat organisé rend visite à quatre, six, voire huit maires dans la journée, en vertu d’un programme de rendez-vous organisé à l’avance. Ne pas consacrer une heure à chaque entretien serait impoli.
Avant de descendre de voiture, il est recommandé de se rafraîchir la mémoire sur ses interlocuteurs. On a vu des maires refuser leur voix à un candidat qui s’était trompé sur leur prénom ou qui n’avait pas pris de nouvelles de leur épouse hospitalisée. Avoir négligé la commune pendant son mandat est une faute plus grave encore. «Ça fait longtemps qu’on ne vous avait pas vu.» Pour un sénateur qui sollicite sa réélection, entendre cette sentence dans la bouche d’un maire équivaut à un arrêt de mort électoral.
Une cagnotte de 58 millions d’euros par an
«Je commence mes entretiens avec les élus par une présentation de l’état de l’économie et des finances du pays, confie Jean Arthuis, sénateur centriste de la Mayenne et président de la commission des finances. Ensuite, nous évoquons les dossiers du département.» Un original, cet ancien ministre. En général, la hiérarchie des préoccupations des élus est inverse. «Le grand sujet des communes du massif forestier du Morvan, c’est le débardage du bois, explique le sénateur PS de la Nièvre Didier Boulaud. Les camions de 40 tonnes utilisés par les entreprises de sylviculture ne respectent pas les arrêtés municipaux et défoncent la voirie communale.» Lors de ces entretiens, les questions les plus variées pleuvent. Les élus demandent au sénateur le maintien de l’arrêt du train à leur gare SNCF. Parfois, ils l’interrogent sur le projet de transformation du bureau de poste en «agence postale». Un maire qui peste contre les chicaneries supposées des architectes des bâtiments de France sollicite son intervention. L’éloignement de la gendarmerie la plus proche provoque un déluge de récriminations. Avec exagération parfois. «Il faut faire le tri, reconnaît un sénateur UMP qui requiert l’anonymat. Certains maires en rajoutent, car ils savent qu’ils ont une très bonne image dans l’opinion et que les Français leur donneront toujours raison.»
L’argent reste un des nerfs de la guerre électorale. Une cagnotte de 58 millions d’euros par an – la «réserve parlementaire» – permet aux sénateurs de donner un coup de pouce aux maires pour leurs projets d’équipements. Hugues Portelli, sénateur UMP du Val-d’Oise et professeur de droit public, se distingue en rendant publique chaque année l’utilisation de la part de la réserve parlementaire à sa disposition. On apprend ainsi que la commune d’Arthies a obtenu 12.500 € pour l’achat d’un tracteur et la commune Saint-Leu-la-Forêt 16.000 € pour la restauration des fresques de l’église Saint-Gilles. Mais ce sont surtout les départements qui cofinancent les projets des communes. Lorsqu’un président de conseil général se présente aux sénatoriales, les grands électeurs sans étiquette votent souvent pour lui. Et le corps électoral qui élit un sénateur est de taille si modeste – 1500 grands électeurs par département en moyenne – que le vainqueur doit obliger chacun des votants, quelle que soit sa sensibilité politique. «Le collège où l’on naît, d’où l’on dépend est tellement restreint que les mécontentements y sont mortels», expliquait déjà Gambetta en 1881.
La campagne coïncide avec la négociation, dans chaque département, sous l’égide du préfet, de la nouvelle carte des intercommunalités voulue par Nicolas Sarkozy. Les communautés de communes sont invitées à se regrouper d’ici à la fin de l’année pour former des entités plus vastes. Un exercice délicat dans un pays qui comprend 36.000 communes – trois fois plus qu’en Allemagne – dont 21.000 comptent moins de 500 habitants. Les derniers villages gaulois sont invités à plier.
Un honneur recherché
En cas de refus catégorique du conseil municipal, le préfet peut passer en force, sauf si la commission départementale de coopération intercommunale donne raison à la commune à une majorité des deux tiers. Chez les maires qui ont dû mettre un genou à terre, la tentation existe de se venger dans l’isoloir. «Les délais prévus par le gouvernement pour regrouper les communautés de communes sont beaucoup trop courts, plaide André Vallini, député et président PS du conseil général de l’Isère, qui se présente aux sénatoriales. Combien d’élus de chaque commune siégeront dans la communauté ? Quelles compétences ? Quels projets ? Il faut donner une année de plus aux élus pour régler toutes ces questions.» De leur côté, les sénateurs UMP font campagne sur les garanties qu’ils ont obtenues de l’État.
Être désigné comme grand électeur reste un honneur recherché. Participer au scrutin est d’ailleurs obligatoire une fois qu’on est choisi par ses pairs, sous peine d’une amende de 100 €. Mais il existe aussi quelques élus locaux que les sénateurs peuvent délaisser sans risque: les ressortissants des autres pays de l’Union européenne. «Un Anglais installé à Bergerac peut être élu conseiller municipal, mais il n’a pas le droit de participer à l’élection des sénateurs de la Dordogne», explique un sénateur du Sud-Ouest.
Dans les départements urbains et très peuplés, qui désignent au moins quatre sénateurs, la proportionnelle est en vigueur. La campagne a alors un tour plus politique et la personnalité des candidats compte moins. Ce mode de scrutin encourage aussi les candidats dissidents, qui peuvent espérer obtenir un siège. Recevoir un coup de fil d’un haut dignitaire du parti qui enjoint à un rebelle de se retirer n’impressionne plus guère. «Plus personne n’obéit à personne», s’inquiète un pilier du Palais du Luxembourg. Le cas d’école du scrutin proportionnel s’observe à Paris, où les sénatoriales sont aussi imprévisibles qu’une délibération de l’Assemblée nationale libanaise. Les Français de l’étranger, eux, qui éliront six sénateurs, «cherchent avant tout des représentants qui traitent leurs problèmes de sécurité, de scolarité et de soins médicaux», souligne Christiane Kammermann, sénatrice UMP habituée des pays en guerre (Liban, Syrie, Jordanie…). Les candidats aux sénatoriales ne sont même pas obligés de tenir un compte de campagne. La tradition d’individualisme parlementaire subsiste encore au Palais du Luxembourg.
Dans les moments de découragement, les candidats peuvent soupirer en songeant à Victor Hugo. En 1876, le conseil municipal de Paris avait sollicité du grand écrivain l’autorisation de l’élire sénateur. Victor Hugo daigna accepter leur requête. L’auteur des Misérables fut propulsé au Sénat sans avoir fait un jour de campagne. De quoi faire rêver les candidats.